Un Arc-en-ciel dans le desert
À Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, les doigts de fée des femmes donnent vie aux étoffes qui habillent de mille couleurs les silhouettes déambulant dans les rues ensablées du pays.
Texte: Brigitte Doumit
Photos: Tatiana Philiptchenko / Megapress.ca
Paru dans Elle Canada, octobre 2007
Dans une pièce mal éclairée d’un quartier pauvre de Nouakchott, une vingtaine de femmes sont assises à même le sol. Plusieurs sont concentrées sur leur ouvrage, une aiguille à la main. D’autres sont occupés à préparer le thé, un rituel mauritanien incontournable.
Ces femmes font partie d’une coopérative informelle qui réalise des melhafas, les robes traditionnelles portées par la gent féminine de ce pays de l’Afrique de l’Ouest. Ces tenues aux bleus, verts et jaunes chatoyants soulignent la grâce des Maures. Leurs silhouettes multicolores déambulent dans les rues ensablées de la République Islamique de Mauritanie, offrant un spectacle très différent de certains pays musulmans où les femmes portent la burka, le tchador ou le niqab.
Youné, la fondatrice de cette coopérative de femmes à Nouakchott, est en train d’élaborer un dessin sur une large bande de tissu en coton blanc. « Travailler au sein d’une coopérative nous permet de vendre nos melhafas plus facilement, donc d’avoir un revenu stable » confie t-elle.
En Mauritanie, ce sont souvent les femmes qui gagnent le pain du ménage. Le taux de divorce dans ce pays islamique est de 47 % pour les premiers mariages et, contrairement aux coutumes en vigueur dans nombre d’autres pays musulmans, les enfants demeurent avec leur mère.
Youné a fini de tracer son dessin sur la bande de tissus de six mètres de long, qu’elle transmet à sa fille, Fatimetou. Celle-ci commence le délicat travail de petits points qui permet de réaliser les motifs des melhafas lors des bains de teinture. « Ce sont les dessins les plus délicats et les plus longs à réaliser qui rapportent le plus d’argent », explique Fatimetou. Les melhafas se vendentàunprixallantde14$à24$la pièce. Les doigts calleux de la jeune femme manient l’aiguille avec une précision fascinante sur les pourtours des dessins tracés au crayon. Cela fait huit ans que Fatimetou exécute les travaux d’aiguille sur les melhafas. Elle a commencé cette tâche ardue à l’age de dix ans.
« J’estime que pour réaliser ce genre de motif, j’aurai besoin d’approximativement cinq jours. À la fin, cette grande pièce d’étoffe sera transformée en une mince torsade », confie-t-elle. Un tas de tissus torsadés prêts pour la teinture sont déjà entassés dans un coin de la pièce. Les femmes travaillent fort pour préparer les melhafas, mais les coupures de courant, qui durent parfois 14 heures par jour, les empêchent souvent de travailler à la nuit tombée.
« Une des grandes difficultés pour nous, c’est le ravitaillement en eau, surtout en été », raconte la voisine assise à la droite de Youné. Après avoir préparé le bois et le charbon, elle verse le précieux liquide dans une large bassine métallique qu’elle place au-dessus du feu. L’eau courante est un phénomène rare à Nouakchott, une ville où il pleut en moyenne six jours par an. La sécheresse et la surpopulation assèchent vite le lac souterrain qui abreuve la capitale mauritanienne. La plupart des quartiers sont ravitaillés par des barils d’eau, ramenés par des chariots tirés par des ânes. Parfois, ce service archaïque connaît des ratés. Les habitants sont alors obligés de parcourir de longues distances pour se procurer de l’eau.
Le système de coopérative fonctionne bien pour des femmes comme Youné. La plupart des groupes sont composés d’une trentaine de travailleuses provenant de la même famille ou du même quartier. La coopérative fait aussi office d’établissement d’enseignement : elle accepte des stagiaires pour une somme d’environ 5 $ par mois.
Malgré la quasi-absence de subventions de la part du gouvernement, le nombre de ces groupes continue d’augmenter. « Il existait 15 coopératives en 1982. Aujourd’hui, il y en a environ 1500 », confirme une porteparole du ministère du commerce. La plupart ne sont pas enregistrées auprès le gouvernement et demeurent donc des groupes informels, comme celui de Youné.
Même si les plus jeunes femmes préfèrent porter des melhafas aux motifs imprimés dans des usines, importées de Chine et de Dubaï, les coopératives demeurent très populaires. « Nous vendons presque tout notre stock, surtout pendant les fêtes religieuses, où nous avons la coutume de porter de nouveaux vêtements », dit Youné. Elle ajoute : « Les femmes sont prises de frénésie lorsqu’elles voient les différents motifs et couleurs. Dans notre boutique, un malafa ne ressemble à aucun autre ». Texte : Brigitte Doumit
Photos : Tatiana Philiptchenko / Megapress.ca
Paru dans Elle Canada, octobre 2007